« Le jour où le capitaine Pedro Alvares Cabral a érigé la croix […], c’était le 3 mai alors que l’on commémorait l’invention de la Sainte Croix où le Christ Notre Rédempteur mourut pour nous, et donna ainsi à la terre qu’il avait découverte le nom de Santa Cruz et ce fut sous ce nom qu’elle fut connue durant de nombreuses années. Pourtant, comme le démon avec le signe de croix avait perdu toute emprise sur les hommes, il craignit de perdre également tout ce qu’il avait avec ceux-là de cette terre, il œuvra pour qu’on oublie le premier nom et qu’il reste celui de « Brésil », à cause du bois ainsi dénommé, de couleur braise et rouge avec lequel on teint les tissus, bois divin qui donna teinte et vertu à tous les sacrements de l’Église. »
—Frei Vicente do Salvador, 1627.
Paradis ou enfer ? Cette tension est la marque de la préoccupation européenne quant aux terres de l’Amérique, particulièrement de la Terra brasilis. On en disait que « tout ce que l’on y plantait poussait », ou que la nudité des Indiens était la preuve complète de la découverte de l’Éden perdu, mais il y avait également la condamnation morale de pratiques traditionnelles, et surtout de l’anthropophagie. Le débat s’est prolongé au XVIe siècle, opposant des noms tels que Bartolomé de Las Casas et Juan Ginès de Sepúlveda. Le premier, un dominicain qui avait vécu parmi les natifs de l’Amérique Centrale et défendait l’autonomie des peuples du Nouveau Monde ; le second, un théologien qui défendait le droit de l’Empire espagnol de les réduire en esclavage. La thèse de la suprématie européenne l’emporta, laquelle mena à la colonisation, et oui, à un véritable enfer pour beaucoup.
L’Europe sortait doucement du Moyen Âge, mais elle n’était pas encore entrée dans une nouvelle ère. La réforme protestante déséquilibra les structures du pouvoir et la réaction catholique fut de suivre les pas des aventuriers en quête de nouveaux marchés pour le capitalisme marchant naissant.
Ainsi, du côté des États Nationaux Modernes récemment constitués, il fallait trouver des terres pour explorer les métaux et les pierres précieuses (et d’autres richesses potentielles) et étendre leurs territoires.
Notre colonisation fut masculine : des explorateurs, des marchants, des jésuites. Il n’y avait pas de projet colonisateur dans le sens de constituer, avec ces groupes, quelque chose qui pouvait ressembler à une civilisation. Le pacte colonial imposa un régime qui interdit l’installation d’industrie manufacturière, situation qui se maintint durant toute la période coloniale jusqu’en 1808 où la famille royale portugaise débarqua à Rio de Janeiro. Au-delà des explorateurs et des marchants qui arrivaient avec l’objectif très clair de s’enrichir, il y avait d’autres débarqués qui avaient troqué leurs peines contre un voyage risqué où l’ombre de la mort guettait. Accostaient également des colonisateurs d’autres nations comme des Français ou des Hollandais, qui tentaient de s’emparer des terres en possession portugaise.
De la part du Saint-Siège, il s’agissait de vaincre la lutte contre les protestants. C’était une véritable guerre au nom de la foi. Rien de mieux qu’une organisation religieuse d’inspiration militaire : la Compagnie de Jésus.
Si d’un côté, dans le cas de l’occupation de l’Amérique portugaise, l’État fut léthargique dans son action, les Jésuites furent extrêmement efficaces dans leur stratégie. Ils fondèrent des villages et des écoles avec l’objectif de convertir le plus grand nombre d’âmes pour la vraie foi. Ils s’occupèrent des âmes et de la vie de colons autochtones. Ils veillaient à la conduite morale de tous, condamnant le concubinage entre les Portugais et les Indiennes, promouvant des mariages entre les Portugais et lesdites « pupilles du roi », généralement petites filles abandonnées à leur propre sort, importées pour satisfaire l’appétit des colons et contrôler le métissage. Elles étaient vierges et lourdement protégées lors de la traversée de l’océan, car elles devaient conserver leur virginité jusqu’au mariage.
Aussi improbable que de parvenir à réfréner le désir et le métissage, on ne pouvait contrôler les habitudes à l’égard des canons religieux. Ainsi, outre les défis imposés à ceux qui souhaitaient convertir les nègres de la terre, il y avait un catholicisme populaire qui ignorait le canon. Selon lui, le religieux et le magique se confondaient, ouvrant l’espace à toute sorte de rituels. La naissance était un de ces moments-clés où la protection de l’au-delà était requise, nécessaire pour protéger contre le mal. Le diable guettait en permanence.
Les enfants filles de colons – qu’elles soient métisses ou de deux parents portugais – naissaient au milieu d’un rituel de naissance. Le nourrisson d’une famille blanche était immédiatement baigné dans du vin ou de la cachaça, lavé avec du beurre ou des huiles et bandé fermement. Sur le nombril, on appliquait de l’huile de ricin. Les saletés étaient considérées comme des remèdes puissants contre le mauvais œil. De la même manière que le cordon ombilical et les ongles étaient enterrés dans le jardin pour éviter qu’ils soient utilisés en rite de sorcellerie.
C’était un soulagement quand la mère et le bébé survivaient à l’accouchement. Le début de la vie était menacé par le spectre de la mort. La faible espérance de vie à la naissance – 50 % des enfants mouraient avant 7 ans – explique la dureté des sentiments. L’enfant était un pouvoir, non pas un être. L’enfance était transitoire et il fallait y survivre. Les adultes – principalement les femmes et les religieuses – devaient s’occuper de cette transition. Toutefois il était nécessaire de toujours être préparé, car le taux de mortalité était élevé. Les femmes comptaient le nombre de fils parmi les vivants et les morts : « quatre garçons, deux filles et trois anges ». Les enfants étaient comme des choses, probable stratégie pour minimiser la souffrance.
Voilà l’environnement dans lequel se déroule le premier chapitre de « L’Enfance du Brésil », bande dessinée de José Aguiar. Un moment de choc entre des civilisations et des visions du monde. Mais également le moment, bien que discutable et symbolique, de la naissance de notre nation.
—Claudia Regina Baukat Silveira Moreira est titulaire d’une licence, d’un diplôme d’enseignement et d’un master en histoire à l’Université fédérale du Paraná. Actuellement elle est professeure à l’Université Positivo, en doctorat de politiques éducatives au sein du programme de post-graduation en éducation de l’Université fédérale du Paraná.